L’enjeu : des points de vue divergents sur le rôle de l’État, les droits et les responsabilités des individus, et sur ce que nous attendons les uns des autres, pourraient transformer le contrat social.
Si la confiance dans les institutions diminue dans certaines communautés, les attitudes à l’égard des normes démocratiques et de la citoyenneté pourraient déclencher des conflits sociaux à court terme.
Les désaccords sur les normes et valeurs démocratiques fondamentales, telles que le consentement des perdants,[i] l’étendue de la liberté d’expression ou la définition d’une protestation acceptable, sont au cœur des défis sociaux liés à la polarisation, à l’intolérance et à l’incivilité. Si les divergences sur ces principes de base s’accentuent, les mouvements qui nient l’autorité du gouvernement ou cherchent à saper les processus démocratiques pourraient devenir plus populaires. D’autres pourraient devenir si frustrés ou confus qu’ils se désintéressent de la question. Associé à la polarisation, ce désengagement pourrait faire chuter la participation électorale à des niveaux qui remettent en question la légitimité des gouvernements démocratiquement élus. Par ailleurs, après une période de perturbation, les conflits autour des valeurs et des normes démocratiques pourraient produire un nouveau consensus majoritaire sur la meilleure relation entre le peuple et l’État.
Si la confiance dans les experts et les institutions de recherche continue de s’affaiblir, leurs conseils risquent d’être rejetés et le soutien public au financement de la recherche pourrait s’estomper.
Les théories du complot, la désinformation, le rejet des sciences et les mouvements anti-élites sapent la confiance dans les experts et les institutions de recherche dans certains secteurs. Un avenir caractérisé par un déclin de la confiance dans la recherche pourrait impliquer un rejet de la notion de politiques et des programmes fondés sur des preuves. On pourrait également assister à un effondrement du nombre de personnes qui suivent les instructions officielles lorsqu’elles sont explicitement fondées sur la recherche ou sur l’avis de spécialistes. Cela pourrait mener à une pente glissante vers le rejet de l’État dans son ensemble. Le déclin du soutien populaire à la recherche et aux chercheurs pourrait faire de toute politique ou tout programme impliquant la recherche une controverse instantanée. Les débats qui s’ensuivraient sur le rôle de l’État dans le financement de la recherche pourraient aussi bien renforcer le statu quo qu’amener les institutions publiques à se retirer de ce financement, ou encore les amener à accroître le soutien public à la recherche.
Comme les métavers permettent de nouvelles expériences et expressions, de nouvelles formes d’activisme, de protestation et de criminalité pourraient apparaître, ce qui pourrait faire évoluer les opinions sur les droits.
Les métavers et la réalité augmentée peuvent permettre de nouveaux types d’activisme et de protestation, comme des foules virtuelles lors d’événements politiques ou des graffitis numériques persistants sur des monuments publics. De même, ces nouveaux espaces pourraient devenir des terrains de jeu pour des criminels utilisant l’intelligence artificielle pour monter des arnaques, ou pour des groupes extrémistes qui utiliseraient des simulations immersives profondément biaisées d’événements historiques pour recruter de nouveaux membres. Il est impossible de savoir si les gens seront plus ou moins tolérants vis-à-vis des activités perturbatrices ou dangereuses dans les métavers que dans les espaces réels, ou si leur vision des droits sera la même dans les deux espaces. Certaines personnes pourraient vouloir de nouveaux espaces numériques ancrées dans la Charte des droits et libertés. D’autres pourraient préférer laisser la pression sociale ou les grandes entreprises propriétaires déterminer les comportements acceptables. Dans les deux cas, il pourrait être difficile de protéger les droits et la sécurité des personnes vivant au Canada d’entités propriétaires étrangères.
À mesure que l’écart se creuse entre la capacité d’analyse des données du secteur public et celle du secteur privé, des entreprises privées pourraient s’immiscer dans des domaines traditionnellement réservés aux gouvernements.
Les géants de la technologie ont mis en place une structure de collecte de données et une puissance de traitement sans précédent, ce qui leur donne accès à plus d’informations sur les particuliers que la plupart des gouvernements. Les gouvernements qui prennent du retard par rapport aux entreprises privées pourraient sembler inefficaces, indignes de confiance, voire désuets. De plus en plus de personnes pourraient alors se tourner vers les grandes entreprises pour résoudre de grands problèmes, les percevant comme « mieux informées » sur la société, l’économie ou l’environnement. Si cela ne porte pas nécessairement atteinte à la légitimité des gouvernements, il pourrait permettre à certains acteurs du secteur privé d’influencer plus facilement l’opinion publique et de mobiliser l’action. Les entreprises privées qui acquièrent et traitent des données massives pourraient apporter de nombreux avantages aux individus et à la société, notamment des solutions à des problèmes tels que la durabilité et les crises de santé publique. Mais il n’est pas certain que les entreprises donneraient la priorité à ces avantages sans la perspective d’un profit.
References
[i] James Piazza, « The ‘sore loser effect’: Rejecting election results can destabilize democracy and drive terrorism, » The Conversation, dernière modification le 23 janvier 2022, https://theconversation.com/the-sore-loser-effect-rejecting-election-results-can-destabilize-democracy-and-drive-terrorism-171571.