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IRAHSS 2019 – Notes d’allocution et présentation

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Kristel van der Elst presenting at IRAHSS 2019
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Notes d’allocution et présentation de Kristel Van der Elst, Directrice générale, Horizons de politiques Canada, présenté au Symposium international sur l’évaluation des risques et l’analyse prospective (IRAHSS) à Singapour le 24 juillet 2019.

Le thème de l’IRAHSS cette année était « L’avenir repensé ». La présentation s’inscrivait dans le cadre de la session sur « La société repensée », explorant l’avenir de la société avancée avec l’avènement des nouvelles technologies.

Une politique repensée pour soutenir la société dans la Prochaine économie numérique

Bien que les technologies transformatrices antérieures aient changé les principes économiques, les institutions, les sociétés et les comportements, la transformation technologique en cours pourrait être plus rapide et plus répandue à l’échelle mondiale que celles du passé, créant des périodes turbulentes où la prospective et la capacité d’adaptation sont des éléments clés.

Nous sommes déjà en pleine mutation en raison de la numérisation et de l’existence du cyberespace. Cependant, nous devons nous préparer à d’autres changements qui s’en viennent. Une gamme encore plus large de technologies émergentes sont en train de mûrir et de se combiner, et vont changer considérablement les principes fondamentaux d’organisation de l’économie et du travail. En même temps, nous subirons la convergence du monde physique et du cybermonde. Et en parallèle, nous connaîtrons la convergence des systèmes numériques et biologiques. Tous ces changements auront d’importantes répercussions sur la vie humaine.

Le défi pour les gouvernements est de taille s’il s’agit d’exploiter le potentiel transformateur des technologies futures tout en atténuant les embûches potentielles.

Je vais aborder certains des domaines politiques qui doivent être repensés et qui détermineront l’acceptabilité sociale des transformations technologiques auxquelles nous sommes confrontés et donc les sociétés futures dans lesquelles nous pourrions vivre.

En adoptant une approche holistique, nous constatons que les gouvernements doivent repenser trois grands domaines politiques.

Repenser la réglementation

Le premier est la réglementation pour protéger les citoyens contre des dangers potentiels. Nous devons nous assurer que les développements technologiques sont sûrs, éthiques et conformes à nos valeurs. Ces valeurs sont très dépendantes du pays dans lequel on se trouve. Nous devrions également tenir compte du contexte plus large dans lequel les frontières mondiales sont de plus en plus poreuses et où les progrès de la science et de la technologie deviennent des ressources stratégiques qui confèrent un avantage concurrentiel.

Nous devons repenser les lois sur la concurrence et la protection des données, car elles auront une incidence profonde sur quels écosystèmes commerciaux et quels modèles de valeur émergeront.

Nous devons réexaminer la réglementation en matière de sécurité sanitaire, des consommateurs et d’environnement. Dans un monde où il est possible d’imprimer rapidement et localement en 3D n’importe quel bien d’un fichier numérique provenant de n’importe où dans le monde, comment pouvons-nous, en tant que gouvernement, protéger nos citoyens lorsque des gens impriment des spatules faites de matériaux toxiques, ou empêcher des gens d’imprimer des armes à feu ?

Nous devons aussi repenser la réglementation en matière de travail, de normes du travail et de droits de la personne. Dans les plates-formes automatisées axées sur les tâches, où les travailleurs à la demande trouvent leur travail, beaucoup de modèles de rémunération sont souvent fondés sur les résultats. Les travailleurs ne sont donc pas payés pour le temps consacré à la tâche, mais pour les résultats. Alors, comment imposer des protections en matière de salaire minimum ? Ces plates-formes axées sur les tâches semblent également conduire à des salaires plus bas. Par exemple, une étude réalisée en 2018 sur 3,8 millions de tâches effectuées sur la plateforme Mechanical Turk d’Amazon a révélé un salaire horaire médian sur leur plate-forme d’environ 2 $ US, avec 96 % gagnant moins que le salaire minimum américain de 7,25 $ de l’heure. Comment savons-nous que ces travailleurs ne sont pas des enfants ? Que se passe-t-il lorsque les travailleurs utilisant ces plates-formes axées sur les tâches dans d’autres pays sont tenus de fournir des informations qui peuvent être en conflit avec les lois locales ?

Enfin, l’application des droits de propriété intellectuelle et de protection de la vie privée est cruciale mais compliquée dans un monde numérique.

Repenser les systèmes de soutien social

Le deuxième domaine politique que nous devons repenser est celui de nos systèmes de soutien social pour aider les citoyens pendant la transition. Bien qu’à long terme, tout puisse finir par s’arranger et de nouveaux emplois émergeront, nous allons vivre une transition de l’emploi. Nous entrons dans un monde où la relation employeur-employé traditionnelle risque de s’éroder en raison de l’essor des plates-formes axées sur les tâches et de l’économie à la demande. De plus, en ces temps turbulents et concurrentiels de destruction créative, les entreprises pourraient considérer les engagements à long terme envers les humains comme un passif. La plupart de nos systèmes de soutien social sont fondés sur cette relation traditionnelle ; nous devons donc y repenser.

L’automatisation et la conception de postes de travail centrés sur les robots vont réduire la demande de travailleurs. Par exemple, des sites entiers de fabrication et de distribution sont conçus pour fonctionner sans un seul homme sur place.

Nous pourrions nous retrouver dans un monde où le chômage structurel et le sous-emploi sont importants. Le cycle économique traditionnel pourrait ne plus tenir ; les emplois pourraient disparaître et ne pas revenir. Il y a beaucoup d’incertitude quant à savoir si et comment les travailleurs peuvent être recyclés et requalifiés. Y aura-t-il des gens qui seront laissés pour compte ? À qui incombe la responsabilité de requalifier ces travailleurs ? Et même si nous réussissions à recycler tous les habitants de la planète, les pays en développement pourraient encore faire face à un problème. Les travailleurs recyclés pour cette nouvelle économie numérique vivront dans une économie avec un marché du travail compétitif à l’échelle mondiale où une grande partie du travail, qu’il soit cognitif ou physique, peut être effectué à distance. Donc, si vous vivez au Canada et que vous êtes requalifié, il se peut que vous ne puissiez toujours pas gagner votre vie, parce que quelqu’un d’autre ailleurs dans le monde vous sous-enchérit dû à un coût de la vie moins élevé pour eux. Les gouvernements doivent s’y préparer, sinon nous risquons de ne pas être en mesure d’aider nos citoyens pendant cette transition et de nous retrouver avec une résistance au changement qui limite la capacité de la société à tirer profit des technologies émergentes.

Repenser la répartition des richesses

Un autre aspect très important à repenser est la répartition des richesses. Nous devons veiller à ce que les avantages de la transformation, en particulier les avantages financiers, soient répartis équitablement dans la société. Dans nos études, nous constatons que les inégalités pourraient devenir potentiellement plus intenses et répandues.

Bien que l’évolution des salaires moyens à l’avenir ne soit pas claire, l’inégalité des revenus pourrait s’accentuer si rien n’est fait. Les travailleurs ayant des compétences automatisables connaîtront une baisse de leurs salaires, tandis que ceux avec des compétences plus rares et qui ne peuvent pas être facilement automatisées ou qui répondent aux besoins de la nouvelle économie pourraient bénéficier de salaires plus élevés.

Nous pourrions connaître de plus grandes différences générationnelles. Les générations plus âgées ont créé leur richesse dans l’ancienne économie et elles pourraient s’en tirer relativement bien dans la prochaine économie numérique, car les prix pourraient diminuer. En parallèle, les jeunes pourraient faire face à des difficultés de diminution des salaires ou même à un manque d’opportunités économiques.

Nous verrons probablement aussi des divergences entre les travailleurs expérimentés et inexpérimentés. Si toutes les tâches « simples » sont faites par la technologie, les seules tâches qui restent pour les humains sont les tâches difficiles qui nécessitent habituellement une expertise. Le travail de centaure, c’est-à-dire l’étroite collaboration entre l’homme et la machine, pourrait faire augmenter le stress des travailleurs car ils ne feraient que des tâches complexes. Une autre question est de savoir comment faire en sorte que les gens deviennent des experts à long terme s’ils ne peuvent acquérir de l’expérience ?

Nous verrons aussi des inégalités entre les travailleurs à la demande, ceux qui sont dans des situations précaires et ceux qui ont des emplois protégés. Les emplois au gouvernement, par exemple, ont tendance à être protégés, tout comme les emplois locaux qui font partie de l’économie secondaire et qui sont protégés par les législations locales du travail et du salaire minimum. Vous pouvez imaginer qu’à l’avenir, votre enfant préfèrera peut-être devenir barista à Ottawa à 15 $ CAN l’heure plutôt que d’être architecte, faisant concurrence à plusieurs dans une plateforme mondiale à la demande qui, à l’heure actuelle, est évaluée à 3 $ CAN l’heure.

Nous devons aussi penser à la différence entre les gens qui utilisent les technologies et ceux qui les possèdent. Nous devons envisager la possibilité d’une croissance sans emploi. Les gens qui profiteront des avantages financiers de cette croissance sans emploi pourraient très bien s’en tirer à l’avenir. Par exemple, l’intelligence artificielle nous permet de créer une capacité additionnelle de travail du savoir à un coût marginal presque nul, et l’automatisation de la fabrication et de la distribution pourrait déplacer des travailleurs, tout en rendant les propriétaires de ces technologies très riches.

La redistribution des richesses est un moyen traditionnel de gérer les inégalités par le biais de la fiscalité – et si les recettes fiscales disponibles sont suffisantes, elles peuvent être gérées. Cependant, dans un monde où l’activité économique est de plus en plus mondialisée et numérique, la fiscalité devient plus difficile. Dans l’économie numérique, il est plus difficile de déterminer où la valeur est créée, quelle partie de la chaîne de valeur numérique devrait réellement être imposée et quelle partie de la production ou de la valeur ajoutée se produit au sein d’une juridiction d’un gouvernement.

Il y aura possiblement des pressions à la baisse sur tous les types de recettes fiscales. L’impôt sur le revenu pourrait baisser dans les pays à revenu élevé s’il y a une convergence mondiale des salaires et il pourrait être difficile de percevoir l’impôt des travailleurs à la demande de façon exacte. Les plates-formes elles-mêmes hésitent à percevoir l’impôt ou à partager les données des clients avec le gouvernement. L’impôt sur le revenu des sociétés pourrait chuter dû à des problèmes de juridiction et des profits diminués dans une économie hyper concurrentielle. L’impôt sur la valeur ajoutée pourrait également être réduit si les prix continuent de baisser, compte tenu des coûts marginaux des biens et services numérisés et de la proportion croissante des biens et services numériques dans le panier du consommateur.

Il existe plusieurs processus internationaux, comme l’OCDE et l’UE, qui examinent comment imposer les biens et services dans la prochaine économie numérique. Récemment, le G7 a publié une déclaration d’intention de travailler sur ce problème. La France a adopté une loi imposant les grandes entreprises technologiques. Beaucoup de travail se fait, mais il est généralement bien compris que c’est un problème difficile à résoudre, surtout dans un monde où les relations internationales changent. Ceci est crucial parce que si les gens estiment que les effets de la transformation technologique sont injustes, la résistance de la société peut se manifester contre davantage que des modèles d’affaires spécifiques.

Repenser les conseils en matière de politiques et d’élaboration des politiques

Au-delà des domaines politiques spécifiques, les conseils politiques et l’élaboration des politiques doivent être repensés pour s’assurer que nous nous retrouvions avec une société dans laquelle nous voulons vivre.

Il y a beaucoup d’espoir qu’avec plus de technologie, plus de données et plus d’analyses, nous serons en mesure de prendre de meilleures décisions grâce à des preuves et à l’élaboration de politiques fondées sur les données. Cela repose sur un certain nombre d’hypothèses. L’une des hypothèses intéressantes est que les gouvernements ont en fait accès aux données requises. Beaucoup de données se trouvent dans les entreprises et il n’est pas clair pourquoi une entreprise, sans y être obligée, leur remettrait cela. Un autre gros réservoir de données se trouve avec les citoyens, avec nous tous. Une autre hypothèse est de savoir si les citoyens feront suffisamment confiance à leurs gouvernements pour qu’ils soient de bons gestionnaires de leurs données.

En supposant que les données soient disponibles, nous ne devons pas oublier que l’élaboration des politiques ne se fait pas en vase clos et que les valeurs, les préférences et les désirs des citoyens doivent être pris en compte. Les nouvelles technologies deviennent de plus en plus envahissantes dans nos vies et les conséquences à long terme de ces changements sont très souvent sous-estimées. Lorsque l’on élabore des politiques et l’on donne des conseils dans les domaines de la science et de la technologie, nous devons aller au-delà des prévisions technologiques et intégrer une évaluation systématique de l’impact social. Nous ne pouvons pas vraiment connaître tous les impacts qui pourraient arriver, mais nous devons faire l’effort d’examiner ce qui pourrait se produire, d’interagir auprès d’un large éventail de personnes et examiner leurs espoirs et leurs craintes au sujet des développements potentiels afin qu’ensemble, nous puissions concevoir l’avenir que nous voulons. C’est compliqué et ça prend beaucoup de temps. C’est différent du modus operandi de nombreux pays. Cependant, il est essentiel que les gouvernements conservent la confiance de leurs citoyens à travers cette grande transformation. Certains pays ont déjà commencé à intégrer davantage de parties prenantes dans la prise de décision et trouvent que cela leur apporte de la valeur.

Le dernier point sur lequel je terminerai, c’est que nous devrons peut-être revoir nos paramètres de mesure. Il y a beaucoup d’avantages à tirer des progrès scientifiques et technologiques, mais ils ne se traduisent peut-être pas adéquatement dans nos paramètres économiques et monétaires. Lorsque les gouvernements élaborent des politiques, ils doivent réfléchir à l’objectif final, à ce que nous devrions mesurer. Nous savons tous que ce que nous mesurons définit ce que nous faisons et où nous allons.

Merci beaucoup.

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Kristel Van der Elst

Kristel est la directrice générale de Horizons de politiques Canada, Gouvernement du Canada. Elle est ancienne cheffe de la prospective stratégique du World Economic Forum. Kristel est titulaire de 3 maîtrises, dont un MBA de la Yale School of Management. Elle est boursière Fulbright et boursière ambassadrice de la fondation Rotary International.

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