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L’avenir de l’Asie Rapports Travail complete

« Bouleversements prévus » pour l’Asie en 2030

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PDF: « Bouleversements prévus » pour l’Asie en 2030

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Introduction
Le contexte asiatique
Bouleversements : événements prototypiques ayant des répercussions géostratégiques importantes
Notes

Introduction1

Le paysage géostratégique de l’Asie est en proie à une transformation profonde, modelé par de « grandes tendances » fondamentales sur le plan démographique, économique, social et environnemental. À moyen terme, c.-à-d. jusqu’en 2030, les trajectoires de ces tendances sont établies et leurs répercussions prévues définissent de plus en plus les travaux de planification des analyses en sécurité nationale2. Toutefois, les perspectives de changements non linéaires, discontinus, plus difficiles à prévoir, bouleverserait les paramètres de l’ordre régional sur le plan politique et sur le plan de la sécurité.

Le présent document d’information vise à susciter l’examen des bouleversements susceptibles de déclencher directement ou indirectement des perturbations stratégiques et militaires à l’échelle nationale, transnationale et régionale. À cet effet, l’« empreinte sécuritaire » de l’Asie doit être interprétée de manière générale, en fonction de l’incidence de l’évolution de la situation en Asie du Sud, en Asie du Sud-Ouest et en Asie centrale sur les régions traditionnellement définies de l’Extrême-Orient et de l’Asie du Sud-Est, ainsi que du prolongement de la dimension maritime vers l’Indo-Pacifique. En outre, la définition de la « sécurité » doit englober les dimensions traditionnelle et non traditionnelle. De plus en plus, la vie des peuples asiatiques et le stoïcisme de leurs sociétés reposent davantage sur la dimension non traditionnelle que sur la dimension traditionnelle.

Le contexte asiatique

Au cours des dix à quinze prochaines années, l’avenir de l’Asie sera modelé par les dynamiques mondiales suivantes :

  • La transition démographique des sociétés asiatiques, certaines de plus en plus vieillissantes, d’autres aux prises avec des tensions liées à l’explosion démographique des jeunes ou un déséquilibre entre les sexes ayant des répercussions sur la société et sur la fécondité.
  • La demande inexorable et accrue sur le plan des ressources, et les impératifs des États en matière d’approvisionnement – facteur géostratégique important pour la Chine. La hausse de la demande en nourriture, en eau et en énergie devrait atteindre 35 %, 40 % et 50 %, respectivement, d’ici 2030.3
  • Les répercussions inéluctables des changements climatiques; l’Asie étant particulièrement vulnérable à la hausse du niveau des océans, aux sécheresses prolongées, aux pénuries d’eau et aux épisodes météorologiques spectaculaires et destructeurs.4
  • Le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie, avec toutes les conséquences positives et négatives de l’essor et de l’effondrement économiques, quelle que soit leur origine. Les tendances historiques indiquent l’éclatement d’une autre crise financière à moyen terme.
  • L’influence et le rôle omniprésent d’Internet et des communications numériques remodelant tous les volets de la société – le commerce, les relations sociales et le secteur militaire et la sécurité – et favorisant des acteurs étatiques et non étatiques aux objectifs divers.
  • Les attentes grandissantes de la classe moyenne asiatique en matière de prospérité, de qualité de vie et de gouvernance responsable.

Plus précisément, en ce qui concerne les volets militaires et sécuritaires de l’Asie contemporaine :

  • La sécurité des populations asiatiques sur le plan humain est soumise à un risque croissant. Les gouvernements manquent de motivation et de moyens pour intervenir en cas de catastrophes naturelles, pour assurer la sécurité alimentaire et pour s’attaquer aux répercussions des changements climatiques.
  • La militarisation rapide de l’Asie, à terre, dans les airs, en mer et dans l’espace, est marquée par une professionnalisation du personnel et l’acquisition d’une capacité de projection de puissance et d’armement sophistiqué. Les préoccupations sont renforcées par le manque de transparence de la stratégie et des objectifs généraux de la Chine, et par les comportements « affirmés » de cette dernière. On doit tenir compte des incidents CBRN (chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires), tant accidentels qu’intentionnels.
  • Les acteurs non étatiques, aux programmes extrémistes et non négociables, constituent une menace grandissante sur le plan national et transnational, leur message sophistiqué étant attrayant pour les populations insatisfaites, affaiblissant ainsi l’État et renforçant les perspectives sur le plan du terrorisme transnational.
  • Des tensions persistent dans les points de crise régionale traditionnels, notamment en Corée du Nord, dans le détroit de Taïwan, en mer de Chine orientale, en mer de Chine méridionale, entre l’Inde et le Pakistan et entre la Chine et le Vietnam. Les gouvernements locaux alimentent le nationalisme et font la promotion de l’activité militaire; ou, dans le cas de la Corée du Nord, mènent des essais et profèrent des menaces nucléaires.
  • L’incertitude entoure le « déclin » des États-Unis et sa crédibilité en tant que « pivot de l’Asie ». La dominance des États-Unis sur le plan militaire jusqu’en 2030 est reconnue, quoique des vulnérabilités et un accès asymétriques, ainsi que le déni des capacités sont de plus en plus remis en question.
  • L’architecture multilatérale de la région sur le plan politique et de la sécurité ne permet pas d’empêcher les différends ou d’en assurer la gestion. Il existe une « méfiance » chez tous les acteurs, y compris au sein des membres de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Les lègues historiques l’emportent. Quoique des institutions de rechange soient créées, par exemple, le sommet de l’Asie de l’Est, ou parmi les États de l’Asie du Nord-Est, les perspectives à court terme en matière de diplomatie préventive sont minces.

Bouleversements : événements prototypiques ayant des répercussions géostratégiques importantes

Plutôt que de spéculer sur les probabilités d’événements précis pouvant entraîner des bouleversements régionaux, aux fins d’analyse, il est plus productif de définir les catégories génériques d’événements dont les décideurs devraient tenir compte à moyen terme.

Compte tenu du contexte régional de l’Asie, les bouleversements assez importants pour modifier les paramètres sur le plan de la défense et de la sécurité pourraient être répartis dans les cinq catégories suivantes. Les événements précis sont énumérés à titre d’exemple dans ces catégories.

1. Conflit militaire inter-État entre les principaux acteurs

Engagement entre les États-Unis et la Chine ayant pour enjeu le détroit de Taïwan

Même si toutes les parties semblent satisfaites du statu quo, le conflit qui s’en suivrait si les acteurs taïwanais traversaient les « lignes rouges » de Pékin demeure la préoccupation majeure des analystes de la sécurité dans la région. Une déclaration d’indépendance par un gouvernement taïwanais nationaliste entraînerait des sanctions économiques de la part de la Chine, le blocage du détroit, l’escalade des accrochages avec les Forces taïwanaises et finalement l’entrée en scène des Forces aériennes et navales des États-Unis. La réaction des principaux États asiatiques est très incertaine.

Conflit militaire inter-État entre les joueurs régionaux

Escalade des incidents impliquant le Japon et la Chine au sujet d’îles litigieuses, découlant d’actes de provocation de la part de nationalistes; par exemple, établissement d’un campement sur une île par les Japonais, (probablement avec l’encouragement tacite d’un gouvernement nationaliste), menant à un engagement direct de la Chine, à un engagement du Japon, et en cas d’impossibilité de mettre un terme aux hostilités, à l’entrée en jeu des Forces américaines, conformément aux engagements de l’alliance entre les États-Unis et le Japon.5

Conflit militaire inter-État dans la mer de Chine méridionale

Escalade des interventions « affirmées » en mer de Chine méridionale. Les interventions affirmées de la Chine visant à établir des zones de pêche exclusives et à revendiquer des territoires, impliquant les Philippines ou le Vietnam, notamment, peuvent se poursuivre, mais elles ne sont pas susceptibles de susciter l’intervention des Forces navales des États-Unis. Toutefois, si les États-Unis lancent des patrouilles conjointes ou placent son personnel à bord de navires des États de l’Asie du Sud-Est, des interventions agressives de la part de la Chine pourraient déclencher une escalade rapide.6

Il existe de nombreuses hypothèses au sujet des politiques de la Chine à l’égard de la mer de Chine méridionale. Selon l’auteur, n’ayant aucun espoir d’en arriver à une solution négociée (principalement en ce qui concerne le tracé en neuf traits), la Chine tente d’établir une présence. L’empiètement progressif de la souveraineté des États voisins par la Chine ne rencontrera aucun obstacle réel. La Chine poursuivra son exploitation agressive des ressources halieutiques et son exploration sur le plan des ressources énergétiques. Si ces ressources sont confirmées, la Chine possède les capitaux et les moyens techniques lui permettant d’extraire ces ressources de manière unilatérale, mettant ainsi un terme à sa dépendance à l’égard des capitaux occidentaux et des sociétés énergétiques occidentales. La diplomatie chinoise a réussi à tirer profit des divisions au sein de l’ANASE, ce qui a eu pour effet d’annuler l’incidence de l’institution.

Interférence avec les lignes de communications maritimes (LCM)

Tout effort visant à contrôler ou à perturber les voies maritimes internationales traversant la mer de Chine méridionale entraînera une immédiate démonstration de force de la part des Forces navales des États-Unis et d’autres pays, en raison de la dépendance des États de l’Asie du Nord-Est à l’égard de ces routes pour l’importation d’énergie.

2. Effondrement des États et conflits inter-État et intra-État connexes

Le changement de régime ou l’effondrement de la Corée du Nord

Le changement de régime ou l’effondrement de la Corée du Nord doivent être envisagés au-delà du cadre humanitaire afin de tenir compte des répercussions hautement perturbatrices de l’engagement dans la péninsule des Forces militaires chinoises, sud-coréennes et américaines. La coordination entre les Forces militaires dans le cadre d’une intervention immédiate en cas de crise humanitaire est possible (sous l’égide des Nations Unies), mais les efforts subséquents visant à revendiquer le territoire et à combler le vide sur le plan politique et de la sécurité pourraient bien être conflictuels. La protection de l’arsenal nucléaire nord-coréen sera la priorité absolue. Cela pourrait se réaliser de manière coopérative, mais il y a une réelle possibilité de crise, soit en raison d’une fuite technologique depuis la Corée du Nord ou de tractations pour le contrôle de l’arsenal au sein de la péninsule coréenne. Une prise de contrôle militaire de la Corée du Nord exigerait la collaboration de l’Armée de Libération Populaire. L’effondrement soudain du régime déclenchera un exode massif vers la Chine, la population ethnique appauvrie et éventuellement perturbatrice inondant les régions frontalières et créant des frictions avec la population Han locale et la communauté coréenne déjà en Chine.

L’effondrement partiel ou complet du Pakistan ou de l’Afghanistan

L’effondrement partiel ou complet du Pakistan ou de l’Afghanistan constitue une menace grandissante. L’effondrement du Pakistan, en particulier, créera un « trou noir » sur le plan de la sécurité, entraînant d’importantes réactions en chaîne à l’échelle inter-régionale et forçant les principales puissances à intervenir. Avec des acteurs non étatiques extrémistes aux objectifs djihadistes au pouvoir, l’exportation du djihad et du terrorisme à l’échelle de l’Asie centrale, méridionale et du Sud-Est, ainsi que du Moyen-Orient, connaîtra une augmentation. L’armée indienne protégera les frontières du pays et ripostera aux actes commis contre le pays, par exemple, au Cachemire. Il sera difficile de circonscrire la crise aux frontières du Pakistan, notamment, entraînant de manière permanente des crises humanitaires sur le plan de la sécurité et des tensions épineuses sur le plan politique ou militaire. Comme dans le cas de la Corée du Nord, la protection des armes et de la technologie nucléaires du Pakistan constituera une priorité; l’expérience des fuites dans ce domaine est révélatrice des défis éventuels.

3. Désastres d’origine naturelle et humaine

Vulnérabilité et capacité

Les populations asiatiques s’exposent à des risques extrêmes causés par des menaces naturelles et humaines : hausse du niveau des océans, tremblements de terre, éruptions volcaniques, inondations, sécheresses, tempêtes, contamination environnementale et accidents nucléaires. Même les États les plus développés, comme le Japon et les États-Unis, peinent à intervenir; la plupart des autres États disposent de capacités d’intervention limitées à l’échelle intérieure, ce qui augmente la probabilité d’exode des populations, de troubles civils et d’effondrement des gouvernements. Malgré l’amélioration de la coopération fonctionnelle en matière d’avertissement (par exemple, le système d’alerte aux tsunamis), la coopération rapide et efficace entre les gouvernements régionaux à la suite d’un désastre demeure problématique.7

« Au cours du dernier siècle, la région Asie-Pacifique a enregistré 91 % du total des décès à l’échelle mondiale et 49 % du total des dommages liés aux catastrophes naturelles à l’échelle mondiale.»8 À l’heure actuelle, des dix sites les plus vulnérables aux catastrophes naturelles à l’échelle mondiale, les huit premiers se trouvent en Asie; le delta de la Rivière des Perles étant le site le plus vulnérable.9 Des analyses de la « faiblesse des États » font ressortir les défis que doivent relever de nombreux États asiatiques, notamment le Pakistan, le Bangladesh et la Corée du Nord.10 Parmi les différents scénarios à envisager, voici les plus probables :

Pandémie régionale ou mondiale

Les crises du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), de la grippe aviaire et du virus Ebola ont mis en évidence les dangers inhérents de la transmission des maladies des animaux aux humains, de la propagation par transmission respiratoire ou des réserves d’eau contaminées. Le scénario le plus probable est une flambée épidémique dans le sud de la Chine, accompagnée d’une transmission au-delà des frontières avant qu’elle ne soit reconnue ou circonscrite à l’échelle locale. Afin d’éviter l’exode des populations, les frontières seraient ensuite fermées; la circulation aérienne serait stoppée et les échanges commerciaux arrêtés, ce qui aurait des répercussions inter-régionales importantes. Les conséquences sur le plan militaire et sécuritaire sont multiples, bien au-delà du besoin accru de soldats pour faire respecter la quarantaine, venir en aide à la population et protéger les frontières. En cas de propagation de la maladie au sein de l’armée (par exemple, l’Armée de Libération Populaire) ou à l’échelle des systèmes de santé, le décès d’un pourcentage important de la population et l’effondrement de la gouvernance civile seraient très probables.11

Les répercussions accélérées des changements climatiques

Les répercussions accélérées des changements climatiques, y compris la hausse du niveau des océans, les répercussions des pénuries d’eau et la destruction des sources alimentaires. Un conflit pour l’accès aux ressources (rivières, pêches, énergie) est à prévoir; par exemple, en mer de Chine méridionale et dans le Mékong. La hausse du niveau des océans pourrait déclencher des déplacements massifs et avoir des répercussions importantes sur les Forces navales et le commerce maritime régionaux.

Les analystes ont indiqué les types suivants de crises sécuritaires pouvant être causées par les changements climatiques :12

  • la disparition des terres découlant de la hausse du niveau des océans (exigeant le déplacement des populations insulaires et vivant au niveau de la mer) ou de sécheresses ou inondations, forçant le déplacement des populations et déclenchant des crises de sécurité alimentaire, notamment au Bangladesh;
  • des tensions et des conflits liés au partage des ressources en eau, déclenchant des conflits inter-État pour le contrôle des rivières, et à la pollution en amont, notamment dans le Mékong, ou entre l’Inde et la Chine;
  • l’agitation civile à l’échelle intérieure en réaction aux interventions gouvernementales, notamment les expropriations, la corruption liée à l’acquisition massive de terres, les menaces à la sécurité et à la subsistance découlant de l’échec du gouvernement à réglementer les activités dans les secteurs alimentaire, industriel et agricole;
  • l’effondrement de l’État entraînant des violences civiles incontrôlables ou la fuite massive des populations à la suite de catastrophes naturelles liées aux changements climatiques. Imaginez, par exemple, les répercussions régionales d’une dévastation à grande échelle au Bangladesh.

4. Attentats terroristes de l’ampleur des attentats du 11 septembre 2001

Des groupes terroristes ont accès à des technologies et à des armes dangereuses, habituellement en raison de fuites ou de la complicité d’acteurs étatiques. Les terroristes franchissent les frontières et ont la capacité de se mobiliser et de s’organiser à distance. En raison de leur utilisation sophistiquée d’Internet par les organisations terroristes aux fins de recrutement et de planification, les organismes de sécurité ont de plus en plus de mal à contrecarrer les activités de ces dernières, et un investissement massif est requis pour la surveillance et les activités de renseignements. Le terrorisme local constitue une menace pour les États asiatiques et à l’échelle mondiale, comme nous l’ont rappelé les attentats à Singapour, en Europe et en Amérique du Nord. Par ailleurs, les gouvernements ont fomenté la violence politique en mettant en œuvre des mesures répressives visant à écraser le mécontentement à l’égard de la classe politique, sous le couvert de programmes antiterroristes.

Jusqu’à présent, de terroristes ont largement lancé des attaques contre des populations civiles, habituellement dans le cadre de conflits en cours. À moyen terme, des groupes extrémistes risquent de cibler des infrastructures commerciales et civiles. Les dommages infligés pourraient être beaucoup plus importants et persistants. La difficulté d’attribuer ces actes aux acteurs responsables et d’éliminer ces derniers par la suite constitue un autre dilemme. Les analystes soulignent trois scénarios prototypiques :

  • des attaques concertées visant des infrastructures civiles clés, notamment le métro de Tokyo ou de Beijing ou les systèmes d’alimentation en eau ou les services publics urbains;
  • des attaques visant à détruire ou à perturber de manière marquée la circulation aérienne internationale, notamment des attaques visant les principaux aéroports (Singapour, Beijing, Shanghai), ou la mise en danger et la fermeture de couloirs aériens;
  • la destruction de la circulation et du commerce maritimes, notamment par l’intermédiaire d’attaques visant des installations portuaires (moins bien surveillées que les aéroports) ou des voies maritimes internationales essentielles. L’engloutissement de plusieurs pétroliers dans le détroit de Malacca perturberait grandement la circulation de l’énergie en Extrême-Orient. Si ces attaques étaient planifiées de concert avec une attaque dans le passage de Lombok, voie de rechange au détroit, entre les îles indonésiennes de Java et de Lombok, une crise régionale importante sur les plans géostratégique, économique et politique s’en suivrait. Les tensions régionales seraient exacerbées si on découvrait que les acteurs visés avaient été accueillis par un État précis

5. Armes, technologies et systèmes « perturbateurs »

L’escalade de la concurrence des dilemmes en matière de sécurité entre les États est alimentée, entre autres, par l’acquisition perpétuelle d’armes, principalement d’armes procurant une supériorité technologique à l’une des parties, ciblant la vulnérabilité asymétrique d’un adversaire ou éliminant la capacité de réponse d’un adversaire, ce dernier élément étant décrit comme l’élimination de la capacité de seconde frappe, élément clé du maintien d’une relation dissuasive. Les armes et les technologies possédant ces caractéristiques sont « perturbatrices » et principalement préoccupantes lorsqu’elles sont introduites dans un contexte mettant en jeu des acteurs qui sentent que leurs intérêts nationaux de base et leur identité nationale sont menacés. Les analystes citent un éventail d’armes au potentiel perturbateur, y compris les armes laser, les impulsions électromagnétiques (IEM), les drones automatisés, les canons à rails, les armes biotechnologiques, les robots et les champs magnétiques.

Aux fins du présent exercice de prévision, comme le présent document d’information, nous devons évaluer les menaces génériques à la stabilité que représentent certains types d’armes ou de technologies d’armement. Les exemples suivants ont été choisis pour décrire les répercussions des perturbations que pourraient causer trois de ces développements sur le plan technologique.

Élimination quantitative de la capacité d’un adversaire, par exemple, attaque terrestre et missiles de croisière antinavires

Les missiles de croisière constituent un ajout attrayant et dangereux à un arsenal. Ils sont petits, rapidement déployables, difficiles à détecter, difficiles à contrecarrer, très précis, supersoniques, rentables et « intelligents ».13 Le déploiement par la Chine d’un grand nombre de missiles de croisière pointés vers le détroit de Taïwan est perçu comme une « matraque d’assassin » discrète conçue pour écraser la stratégie anti-accès/interdiction de zone (A2/D2) des États-Unis.14 Ainsi, ces armes sont perçues comme des armes perturbatrices, car elles peuvent accroître la probabilité que la Chine lance une intervention militaire contre Taïwan ou contre d’autres adversaires, avec la seule intention d’écraser les forces de défense, même si ces dernières sont plus évoluées sur le plan technique. (En termes conceptuels, cela ressemble un peu à une « attaque par déni de service » sur Internet.)

Attaque anticipée : guerre cybernétique

Tous les volets de la société reposent maintenant sur Internet, les communications numériques et les enseignements numérisés. Mais à mesure que l’interconnectivité entre les systèmes s’accroît, la possibilité que des acteurs malveillants commettent des actes hostiles s’accroît également. Les attaques ciblées visant des sociétés, des gouvernements, des organismes et des institutions du secteur de la sécurité et de la défense sont de plus en plus courantes et elles sont souvent attribuables à des agents commandités par certains États. En effet, comme dans le cas de l’Estonie en 2007, une attaque à grande échelle visant l’infrastructure gouvernementale, les médias, les systèmes financiers et les systèmes de transport peuvent paralyser un État. Différents États en Asie, y compris la Corée du Nord, la Corée du Sud, la Chine et Taïwan, déploient déjà des tactiques reposant sur la guerre cybernétique.

La probabilité que des acteurs étatiques ou non étatiques lancent des attaques cybernétiques généralisées est de plus en plus élevée. Deux formes de bouleversements sont à prévoir. « D’une part, se trouve un choc cybernétique cataclysmique ouvert et immédiatement attribuable – un Pearl Harbor numérique. » D’autre part, se trouve une campagne plus insidieuse d’« attaques cybernétiques clandestines goutte-à-goutte » progressives et coordonnées15 visant à infiltrer les systèmes, à extraire des renseignements, à retirer des fonds et à implanter des logiciels destructeurs. Comme l’épisode Stuxnet l’a démontré, ces attaques peuvent être orchestrées par des organismes étatiques pour détruire des structures physiques, mais il est plus probable qu’elles soient menées par des acteurs étatiques et non étatiques dans le cadre de stratégies visant à réduire la viabilité des systèmes gouvernementaux et privés ciblés.

Supériorité sur le plan de l’information : un « cygne noir » – capacité en matière d’informatique quantique

Le cryptage permet d’assurer la sécurité à l’échelle d’Internet. Le cybercrime et la guerre cybernétique reposent sur le décryptage et le contournement du cryptage. Le développement et le déploiement d’ordinateurs quantiques permettront éventuellement non seulement de décrypter les renseignements cryptés d’autres acteurs, mais ils permettront également de bloquer complètement l’accès aux renseignements. En outre, sur le plan de la capacité de traitement des données, les ordinateurs quantiques accroîtrait de manière exponentielle la capacité d’analyser des bases de données gigantesques, ce qui « améliorerait » efficacement les capacités de surveillance et qui aurait des répercussions positives et négatives pour les gouvernements et la société civile. Dans le cas d’adversaires se livrant concurrence sur les plans politique, économique et de la sécurité, la concrétisation des capacités de l’informatique quantique « transformerait la géopolitique ».16

Des États tentent déjà de se doter d’ordinateurs quantiques; la concurrence pour la suprématie pouvant en découler déclencherait une escalade de la « course à l’armement » accompagnée d’attaques anticipées (numériques et éventuellement contre des biens matériels) et menaçant les relations dissuasives existantes. Par conséquent, si les États-Unis ou un autre État profitaient d’une avance de cinq ans sur ses adversaires en Asie, cela lui procurerait un avantage important; toutefois, si ses adversaires en venaient à découvrir cette avance, la situation deviendrait menaçante et perturbatrice. Comme l’énonce un analyste : « les technologies de l’informatique quantique déployables par un ou deux États deviennent une vraie menace pour la société civile et la société incivile. » Le premier acteur à se doter d’une telle technologie profiterait d’un avantage réel, mais cela serait susceptible d’entraîner un bouleversement des paramètres dans les secteurs de la défense et de la sécurité à l’échelle de l’Asie.

Notes

1 L’auteur remercie plusieurs collègues pour leurs conseils et leurs commentaires. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et elles ne reflètent pas celles d’aucune institution. Pour communiquer avec l’auteur : brian.job@ubc.ca.

2 Le document Global Trends 2030: Alternative Worlds(link is external)(link is external) (2012) du National Intelligence Committee de la CIA en constitue un bon exemple.

3Global Trends 2030: Alternative Worlds(link is external)(link is external), p. iv; voir également Bernice Lee, et al. Resource Futures: A Chatham House Report. 2012.

4 Voir le chapitre 24 du document Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability(link is external)(link is external). Groupe de travail II du GIEC, Asie.

5 Il est à noter que les provocations et les opérations militaires risquées continuelles des pilotes et des navires chinois à l’égard de leurs homologues américains sont susceptibles de se poursuivre, donnant lieu, à l’occasion, à des accrochages accidentels ou volontaires (mais non autorisés). On pourrait assister à une escalade, mais les deux parties ont manifestement intérêt à résoudre rapidement de tels incidents.

6 Voir l’article « The South China Sea is the Future of Conflict(link is external)(link is external) » de Robert Kaplan publiée dans Foreign Policy, le 15 août 2011.

7 Par exemple, il est important de noter la confusion et le manque de transparence et d’échange d’information entre les États de l’Asie du Sud-Est à la suite de l’écrasement de l’appareil de Malaysian Airlines.

8 Citation de FIDA. 2014. Climate Change Impacts in the Asia/Pacific Region(link is external)(link is external). Voir également la note de bas de page 4.

9 Voir l’étude de la Swiss Reinsurance Company intitulée Mind the risk: A global rating of cities under threat from natural disasters(link is external)(link is external), Swiss Re, 2014.

10 Voir Index of State Weakness in the Developing World(link is external)(link is external), Brookings Institution, 2014.

11 Selon l’étude Global Trends 2030 du National Intelligence Council, l’éclosion d’un virus respiratoire infectant plus de 1 % de ses victimes «figure parmi les événements les plus perturbateurs qui soient. (…) une telle éclosion entraînerait une pandémie mondiale (…) probablement en moins de six mois. »

12 Pour obtenir une introduction, voir Marc Levy. 2011. Evolution and Trends of Climate/Conflict Research(link is external)(link is external). New York : Woodrow Wilson Center, Université Columbia. Pour en savoir plus long à ce sujet, consulter le site de l’Earth Institute (Université Columbia) du CIESIN ainsi que les derniers travaux de recherche de Marc Levy figurant également sur ce site.

13 Voir Dennis M. Gormley, Andrew Erickson et Jingdong Yuan, A Low-Visibility Force Multiplier: Assessing China’s Cruise Missile Ambitions. Washington (DC) : NDU Centre for the Studies of Chinese Military Affairs, 2014.

14 Annual Report to Congress: Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China 2014(link is external)(link is external). Washington (DC) : Office of the Secretary of Defence.

15 Michael J. Glennon. « The Dark Future of International Cybersecurity Regulation », Journal of National Security Law and Policy 6 (2013), 563-570.

16 Quantum computing 101(link is external)(link is external). University of Waterloo : Institute of Quantum Computing et Quantum Computing Market Forecast 2015-2020(link is external)(link is external).

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